Leçon 2 : genre, espèce, définition


I. Sur la logique


La logique est la propédeutique de toute science, et n’a d’objet que les formes que peuvent prendre les raisonnements. Mais avant l’étude de ces derniers, il faut étudier la proposition, et plus avant encore, la catégorie qui sont dites sans liaison, notions (synonymes) davantage que noms (représentés par les homonymes).

Les catégories « expriment quelque chose de l’être » (Hamelin, 7ème leçon) et sont attributs du sujet (au sens philosophique et non grammatical : l’attribut philosophique peut devenir attribut grammatical). L’ουσία, malheureusement traduite par substantia par glissement de subjectum, première sera donnée à ce qui n’est attribut de rien : l’individu. Les catégories restantes seront apposées par la suite, et restent toutes les genres les plus généraux, irréductibles entre eux : ils sont des perspectives sur l’être et non un chemin unique de hiérarchie, comme chez Platon. En outre, elles ne comprennent ni l’Un ni l’être, généralement et outre mesure applicables à toutes choses.

Retenons donc que la catégorie est genre, c’est-à-dire une classe idéalement plus large que les contenus — suppôts, référents, individus — de l’espèce.


II. Du réel au logos ?


Sur quoi donc porte le concept, puisque ce n’est ni sur l’accident, ni sur l’attribut nécessaire mais dérivé, ni sur le propre ? C’est évidemment sur l’ουσία, la substance. C’est ce qu’Aristote exprime ordinairement en disant qu’il n’y a de définition que de l’ουσία (Bonitz, Ind. 525a, 8). Mais ce n’est pas encore là une manière assez précise de déterminer l’objet du concept et, par cet objet, la nature du concept ; car le concept n’est, bien entendu, que le reflet de son objet. L’objet du concept, si l’on veut le déterminer avec la plus grande précision, n’est donc pas seulement l’ουσία, c’est une sorte particulière d’ουσία. C’est l’ουσία en tant qu’elle exclut la composition, en tant qu’elle est simple. Aristote nous dit en effet qu’il y a identité entre la chose prise en elle-même, entre chaque chose, c’est-à-dire entre la chose en tant qu’objet du concept, et la quiddité de la chose, lorsque la chose considérée est une πρώτη ουσία.

Hamelin, 1920, 8ème leçon, 114


Le grand problème, encore d’actualité, fut celui de l’attribution (categorein signifie attribuer). Depuis que les Eléates et leur maître Parménide ont déclaré que l’être est, et que toute autre chose que cette simple affirmation est réputée comme la négation de l’être, la difficulté a paru insurmontable. Aristote va y répondre avec mesure.


III. La définition


La définition (ορισμός, de όρος, limite, terme) chez Aristote est très schématique, mais philosophiquement particulièrement explicite : elle unit le genre et la différence spécifique auxquels le sujet de la définition participe. Le point de vue est ici encore essentiel : ce sont des systèmes de recoupement.


Le genre est ce en quoi deux choses, diversifiées par des différences spécifiques, sont essentiellement identiques, ou encore ce qui est commun à plusieurs espèces, mais de telle façon que ce soit un élément essentiel de ces espèces, quelque chose qui puisse s’attribuer à elles dans la catégorie de la substance, quelque chose qu’on puisse donner comme réponse à la question : qu’est-ce qu’une certaine espèce, par exemple qu’est-ce que l’homme ? On répondra : c’est un animal, et en effet « animal » est bien le genre de « homme ». [...] [Le genre] est la première base du concept [ou définition]. Mais la différence joue un rôle qui n’est pas moins considérable ; car, étant ce qu’il y a de plus propre à une chose, elle est ce qui est le plus constitutif de l’être de la chose.

C’est seulement en réunissant plusieurs différences les unes aux autres, et surtout en réunissant les différences avec le genre, que l’on constitue un ensemble de caractères qui a exactement la même extension que l’objet à définir ou à concevoir, et qui en exprime adéquatement la nature.

Hamelin, 1920, 8ème leçon, 123-4.


Voici quelques exemples (le genre est en italique ; la différence soulignée) :

Trois est un nombre impair.
L’homme est un animal bipède / politique, etc.

On reconstruit ainsi logiquement – linguistiquement, l’ουσία de quelque chose, en prenant garde à ce que la visée du philosophe n’était pas celle d’un maniaque voulant préciser chaque nuance : elle est bien centrée entre l’idéalité des formes (le prototype exemplaire de sa catégorie) et leur réalité (les variations infimes). Ainsi, l’on comprend comment s’articule la définition des mots et celle des choses : la première est la définition d’une essence fictive (An. Post. II, 7, 92b) (110)

La définition répond à la rigueur de l’opposition (Cat. 10 et 11, Eth. Nic. III, 8, 1108b33, Mét. I, 4, 1033a6) : parmi elle, la contrariété oppose des termes dont la distance entre eux est maximum, mais dans la mesure du genre ; ainsi on ne peut comparer deux espèces de genres différents, comme le blanc (genre : couleur) et la rondeur (genre : figure). La métaphore ainsi transporte le propre d’un nom du genre à l’espèce, de l’espèce au genre, de l’espèce à l’espèce, ou par analogie (Poét. XXI, 1457b6-10).

En outre, certaines de ces qualités n’ont pas de contraire, en l’occurrence la figure géométrique et certaines couleurs (Cat. 8).



 Remarquons deux choses essentielles :
La contrariété peut indifféremment faire passer le devenir de l’un ou l’autre contraire, alors que l’habitude va à la privation et non l’inverse (on passe de chevelu à chauve).
Entre l’affirmation et la négation d’une part et la contrariété de l’autre, seule les propositions opposées de la première sont nécessairement vraies et fausses, alors que la contrariété les deux peuvent être fausses en même temps.

Par exemple (Cat, 10) :

1) « Socrate est malade » / « Socrate est en bonne santé ».

Si Socrate est, l’une des deux propositions sera vrai, l’autre fausse.
Si Socrate n’est pas, les deux propositions seront fausses : il est absurde de dire qu’il est malade ou en bonne santé qu’ « il » n’est pas.

2) « Socrate est malade » / « Socrate n’est pas malade ».

Si Socrate est, l’une des deux propositions sera vrai, l’autre fausse.
Si Socrate n’est pas, l’une des deux propositions sera vrai, l’autre fausse : s’il n’est pas, il ne sera pas malade.



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