Leçon 1 : la méthode d'Aristote


Ει μεν φιλοσοφητέον, φιλοσοφητέον, και,
ει μη φιλοσοφητέον, φιλοσοφητέον,
πάντως άρα φιλοσοφητέον.


Chez Platon [...], l’importance de la forme dialoguée diminue progressivement et les derniers écrits de Platon sont presque des traités ex professo. Au reste, entre un tel procédé et les tendances générales de la méthode d’Aristote, il paraît bien y avoir une incompatibilité essentielle. Le dialogue suppose la maïeutique, ou, ce qui en est l’équivalent platonicien, la réminiscence : il s’agit seulement de se reporter à une sorte d’évidence intime. Pour Aristote, au contraire, enseigner c’est démontrer ; il a l’idée du moyen-terme et de la preuve ; nul besoin d’un retour sur soi de l’auditeur, ni qu’on lui demande son assentiment : on le contraint.

Hamelin, Le système d’Aristote, 1920, première leçon


I. Les écrits d’Aristote


1. Qu’est-ce qu’un écrit acroamatique ?


Indifféremment l’on nomme les écrits d’Aristote acroamatiques (d’ακρόασις, audition [d’un cours]) ou ésotériques : la visée didactique permet de se recentrer sur la manière d’enseigner et de ne prendre pas uniquement appui sur l’objet.

Ces écrits s’opposent aux exotériques de deux manières au niveau du texte : l’exposition du sujet et la méthode ; quand l’exotérique use de dialectique, l’acroamatique prend pour soi l’analytique et la démonstration apodictique. Au niveau de la situation, les uns sont destinés au Lycée, l’école d’Aristote, les autres à un public large, simplement extérieur. L’on ne peut être certain si les cours qui nous ont été transmis fussent préparés avant les leçons ou a posteriori, mais il reste certain qu’ils n’étaient pas de simples notes à l’usage du professeur, mais des cours complets pour les élèves ou une relative circulation extérieure.


2. La classification des écrits


Les ouvrages scientifiques d’Aristote se répartissent aisément en cinq classes : logique, métaphysique, sciences de la nature, morale et politique, théorie des arts [Zeller, 1852]. Il s’agit là d’une classification, non d’un ordre que nous devions suivre plus tard dans l’exposition de la doctrine.

Hamelin, Ibid., troisième leçon


Pour certains auteurs anciens, notamment Alexandre, Philopon, Simplicius et Ammonius, sa philosophie se diviserait en deux parties : théorique (fin : la vérité) et pratique (fin : un έργον, œuvre extérieure ou πράξις). Mais pour Aristote, les sciences se divisent en théorétique, pratique et poétique.

La première se subdivise en mathématiques (non représentées dans l’œuvre, les mathématiciens étant déjà séparés des philosophes), physique et théologie.


Mobile
Immobile
Séparé
ø
Théologie
Non-séparé
Physique
Mathématique


La division pratique consiste en éthique, politique et économique (livre I de la politique).
Dans la troisième on comprend certainement la poétique et souvent la rhétorique, malgré sa proximité avec la dialectique (Ravaisson).
Quant à la logique, fondée par le Stagirite (184a8), elle est un « organe », un instrument, la « forme de la science. » (Ravaisson) et non une division de la science elle-même, n’ayant point d’objet propre. Pour Zeller (), elle serait la science de la forme. Mais elle serait plutôt, en suivant le premier, une méthodologie, une propédeutique.


II. Des méthodes pour la connaissance


1. Traits généraux


Pour ce qui est de la méthode, elle est, d’une manière générale, chez Aristote comme chez Platon, logique et notionnelle : c’est-à-dire qu’elle vise à définir et à enchaîner des concepts.

Hamelin, Le système d’Aristote, 1920, 6ème leçon (78)


Ainsi, le trait propre à la méthode d’Aristote, la démonstration, s’appuie certes sur le concept et reprend l’universel logique de la compréhension (unité signifiée), mais conserve un peu plus l’extension, ou supposition (unités des « référents ») des concepts, puisque a contrario il donne à la substance individuelle la priorité parmi toutes.
Il donne donc une part, à nouveau, à la sensation, à l’expérience qui en est la cristallisation, et à l’expérimentation.
Selon Hamelin, des deux pensées la plus importante reste la pensée conceptuelle, l’expérimentale restant la seconde (6ème leçon, 79).


2. La méthode syllogistique


D’une manière générale, la méthode pour la connaissance est formée par la Logique, qui en est la propédeutique. Le syllogisme est un mode de raisonnement qui conclut « hermétiquement » deux prémisses. On distingue le syllogisme dialectique (prémisses probables) de l’apodictique (prémisses nécessaires). Il en existe 4 formes, dont voici une par exemple :

Tout B est A
Tout C est B
——————
Tout C est A

Voir Topiques, Premiers et Seconds Analytiques.


3. L’étude doxographique


Aristote utilise une méthode d’étude que l’on appelle doxographique, consistant à introduire ses ouvrages à l’aide d’un rappel historique de l’opinion de ses prédécesseurs. La validité des théories de ces derniers nait de deux critères : l’opinion du grand nombre (οι πολλοί) et celle des « grands ».

Il est vrai qu’Aristote courbe souvent les opinions précédentes à son propre système et surtout au but que l’étude lui assigne ; néanmoins, l’exposé est une source importante de fragments pour les présocratiques et d’explications sur la théorie platonicienne.

Un exemple de ce procédé est à lire dans Métaphysique, livre A.


4. La méthode diaporématique


L’aporie, mot signifiant l’absence ou l’encombrement (α-) de passage (πορία), comprend la difficulté impassable.
Le livre B (1) de la Métaphysique nous éclaire sur ce concept :


Il est nécessaire, en vue de la science que nous cherchons, de nous attaquer, en commençant, aux difficultés qui doivent d’abord venir en discussion. J’entends pas là, à la fois, les opinions, différentes de la nôtre, que certains philosophes ont professées sur les principes, et, en dehors de cela, tout ce qui a pu, en fait, échapper à leur attention. Or quand on veut résoudre une difficulté, il est utile de l’explorer d’abord soigneusement en tous sens, car l’aisance où la pensée parviendra plus tard réside dans le dénouement des difficultés qui se posaient antérieurement, et il n’est pas possible de défaire un nœud sans savoir de quoi il s’agit. Eh bien ! la difficulté où se heurte la pensée montre qu’il y a un « nœud » dans l’objet même, car, en tant qu’elle est dans l’embarras, son état est semblable à celui de l’homme enchaîné : pas plus que lui, elle n’est capable d’aller de l’avant.

Aristote, Métaphysique, 995a20-33 (trad. Tricot)


On voit à la fois la relation au livre A et à la méthode doxographique, et la méthode en propre qui poursuit le chemin de l’investigation métaphysique : faisant pendant à la dialectique, la diaporématique établit pour un problème deux solutions opposées (thèse – antithèse) qui (semblent) se valoir, étant ainsi une introduction à la résolution subséquente des autres livres.

Voir également Ethique à Nicomaque, Livre VII, 1145b2.


5. La détermination de l’objet


Le livre Γ de la Métaphysique, pour poursuivre notre exemple, commence ainsi : « Il y a une science qui étudie l’être en tant qu’être, et les attributs qui lui appartiennent essentiellement. »
C’est à cet objet que vont s’atteler les livres suivants pour répondre à la question : quelle science a cet ‘être’ pour objet ? Si pour nous la réponse a la simplicité d’être donnée par le titre de l’ouvrage, il ne faudra toutefois pas oublier que la « métaphysique » n’est pas un terme d’Aristote.




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